Voyage en Russie, Aout 2000
Il y a 4 ans, je suis partie faire un voyage en Russie pendant 4 semaines avec un des mes amis suisses, Manu.
Nous avons pris le train de Suisse a Moscou, puis de Moscou a Novossibirsk, puis de Novossibirsk aux monts Altai. Nous sommes les deux passionnes d'Asie centrale et de voyages, et ce voyage-la a ete digne de nous espoirs les plus fous.
Je viens de retrouver des textes que j'avais ecrit a notre retour et j'avais envie de vous les faire partager.
Ce ne sont que des fragements et je vais les introduire un par un pour les replacer dans leur contextes.
Il y a parfois des references que je n'expliquerai pas simplement parce que c'est trop long, mais je serai toujours contente de repondre a vous questions!!!
Tout d'abord une petite precision geographique s'impose voila la vallee que nous avons remontee
Elle se trouve a la frontiere entre la Russie, la Chine, le Kazakstan et la Mongolie, nous sommes toujours restes du cote russe.
Veille de depart
8 Août 2000, départ de Neuchâtel,
Après des semaines de courses entre Genève et Berne, trois semaines de surf effréné sur internet, j’ai finalement mon visa en ordre et ce n’est pas peu dire. hier encore je sautais dans le train pour berne pour me faire délivrer un visa de transit pour la Biélorussie, ensuite petite halte à la Migros pour acheter le matériel de camping manquant et puis retour à la maison pour faire mon sac et me laisser juste assez de temps pour angoisser profondément.
Mauvaise nuit, évidemment et encore quelques heures de peurs avant de me retrouver dans le train. Je n’en menais pas large il y a quelques heures et je crois juste de rappeler cette angoisse.
Christophe m’accompagne à la gare, on boit un thé et je monte dans le train ne sachant pas du tout ce que je fais là!
Le deuxieme texte raconte notre arrivee a Kosh-Agash, dernier village avant la frontiere mongole et du le point le plus eloigne de notre voyage, ce village symbolisait le but de notre voyage avant meme de partir. En en sens je commence donc par la fin, mais tous les autres textes parlent du voyage de retour.
Kosh-Agash
25 Août Kurai, vers midi au soleil,
Après deux jours sans écrire, il y a évidemment beaucoup à raconter. Après avoir rencontrer cette adorable petite fille à Aktash, nous avons repris le bus pour Kosh-Agash. Kosh-Agash qui est déjà un mythe à nos yeux va le devenir plus encore. Le trajet en bus est aussi grandiose que celui depuis Shebalino, si ce n’est plus. Nous arrivons d’abord dans une première plaine immense, criblée d’un seul village (Kuraï et c’est l’euphorie qui commence. Dans le bus, serrés l’un contre l’autre, nous nous taisons de peur de gâcher le bonheur de l’autre et de toute façon les mots seraient inutiles. Puis nous sortons de cette plaine pour remonter une petite vallée qui débouche sur le plateau de Kosh-Agash. C’est tout simplement gigantesque et tellement fidèle aux images que l’on se fait des hauts plateaux mongoliens que nous exultons littéralement. Je ne peux retenir des petits éclats de rire de bonheur. Nous sommes sans doute aux environs de 2000 mètres d’altitude avec une étendue immense devant nos yeux et la liberté totale quant à la direction dans laquelle marcher. Nous choisissons le sud-est par respect pour le mythe.
Nous marchons donc, quand au moment de vouloir traverser une petite rivière, quatre gaillards d’une vingtaine d’années s’arrêtent vers nous pour discuter.
Nous sommes bien content de discuter un peu avec des habitants de cette région qui nous semble si parfaite. Puis nous repartons, marchons dans cette plaine où le vent souffle sans cesse, marchons sur de l’herbe jaune pas assez dense pour cacher la rocaille grise de ce désert d’altitude, marchons en exultant de bonheur. Loin, très loin s’étendent des montagnes couvertes de neige, beaucoup plus belles que dans nos rêves les plus fous.
Nous marchons en nous regardant devinant très bien le bonheur de l’autre.
Que va-t-il nous rester de cette impression profondément belle?
Nous marchons facilement une heure sans sentir le poids de nos sacs.
Puis à quelques mètres de l’endroit où l’on a prévu de s’arrêter, nous nous retournons et apercevons nos quatre autochtones pas très loin et marchant d’un pas décidé. Il ne nous faut pas très longtemps pour comprendre qu’ils ne sont pas entrain de nous amener le dessert. Je me demande d’ailleurs d’où nous tenons cette certitude, est-ce que nos nombreuses lectures de voyage nous ont appris quelques choses de concret, ou est-ce un instinct que tout le monde possède?
Rapidement, on met une partie de nos roubles dans la poche de Manu, deux cents à peu près, en espérant que cela va suffire. Quand ils nous rattrapent, nous sommes derrière une petite colline, au milieu de nulle part. Ils sont quatre et nous sommes deux lourdement chargés, il est impossible de s’enfuir. Et la scène commence. Le décors et les moindres détails sont en place, ils arrivent tranquillement en marchant alors que nous les attendons, impassibles. Celui qui semble être le « chef » est à moitié édenté, derrière lui son premier lieutenant tient une pierre en main pendant que le troisième suce la moelle d’un os de bœuf et que le dernier regarde autour de lui un peu inquiet...
Les quatre Dalton en chair et en os au fin fond de la Sibérie! On en vient au fait et les deux cents roubles changent assez vite de propriétaire. Ensuite ils s’en prennent à mon appareil photo ou plutôt au film qu’il y a dedans, mais cela nous mettons un certain temps à le comprendre et pendant ce temps je pleure en toute conscience pour essayer de leur faire comprendre l’importance de l’objet, c’est presque avec joie que je sacrifie les quelques photos de cette plaine fantastique quand je comprends qu’ils ont simplement peur d’avoir été photographiés.
Arrivés à leur fin, ils partent rapidement, le plus tendre des quatre s’excuse et déjà la colline nous masque leur fuite.
Nous restons là, un peu hébétés par ce qui vient de se passer. Un peu choqués sans doute mais ce n’est que plus tard que nous nous imaginerons tous les scénarios catastrophe qui auraient pu se produire. En attendant nous enrageons de ne pas pouvoir camper au milieu de notre première steppe quasi mongole, en effet notre reste de bon sens nous recommande de rentrer au village et de se chercher une chambre pour la nuit.
En arrivant dans le village, nous imaginons nos quatre voleurs entrain de boire les roubles qu’ils nous ont pris ou encore entrain de manger le repas que leur maman leur a fait.
Nous mettons un certain temps pour trouver l’auberge, mais il reste des lits et l’ambiance est plutôt chaleureuse.
Les trois-quarts des chambres (c’est-à-dire 4) sont occupées pas des marchands mongoles qui s’apprêtent à rentrer chez eux. Ils nous invitent à les accompagner et c’est à notre grand désespoir que nous leur expliquons que nous n’avons pas les visas nécessaires pour se permettre un petit crochet par la Mongolie. Nous rencontrons également un instituteur de Novossibirsk venu étudier comment les Altayis percevaient Pouchkine. Avec lui, nous passons une partie de la soirée dans la chambre d’une femme complètement ivre qui veut que nous buvions avec elle et à la santé de son fils habitant Biisk. Mais la fatigue se fait très vite sentir et nous nous couchons de bonne heure dans des lits en fer qui grince au moindre mouvement.
Le lendemain matin, à sept heures, nous sommes à l’arrêt de bus. La lumière est très étrange et j’enrage de ne pouvoir rester plus longtemps dans cette plaine. Le ciel est chargés de gros nuages très bas qui soulignent encore plus l’immensité du lieu. Une ou deux vieilles femmes arpentent déjà les rues de terre battue pour aller je ne sais où.
Le bus arrive et sans avoir le temps de se rendre compte de quoi que ce soit, nous sommes déjà sur la route du retour.
Kurai
En un sens, nous avons l’impression de se faire rejeter de cette terre qui nous a tant fait rêver, de se faire rejeter au moment même où nous venions juste de l’atteindre. Nous reviendrons, nous nous le promettons mutuellement, mais cette fois, nous serons munis de visa pour la Mongolie et Kosh-Agash ne sera plus un cul-de-sac duquel il est possible de nous exclure. Cela fait tellement mal de se sentir si proche du rêve. Peut-être que nous sommes encore trop jeunes, peut-être que dans quelques années, nous remercierons nos lascars de nous avoir empêcher de profiter de ce bonheur trop tôt. Peut-être, mais en attendant, nous nous taisons de dépit et de tristesse...
On reprend donc le bus pour Kuraï car ce village qui nous avait beaucoup plu à l’aller nous semble être un compromis honnête. Mais le problème est là justement, c’est un compromis et nous ne sommes pas du tout d’humeur à faire des compromis.
Dans le bus qui redescend, le silence règne à nouveau, mais cette fois c’est de peur d’attrister l’autre un peu plus qu’il ne l’est déjà. Notre déception est immense et ni l’un ni l’autre n’avons assez de force pour se soutenir.
Que cette vallée étroite est oppressante, que la plaine de Kuraï nous semble petite à présent, quels étranges êtres nous sommes, capables de contempler les mêmes lieux d’un regard si différent selon notre état d’âme...
Nous avons beaucoup de peine à accepter notre échec, car c’est bien d’un échec dont il s’agit, ou en tout cas c’est comme cela que nous le percevons pour l’instant.
Arrivés à Kuraï, nous ne pensons qu’à nous perdre au plus vite dans la montagne, nous ne nous parlons que très peu et quand nous le faisons, la situation ne fait que devenir plus sinistre encore.
Nous marchons quelques heures vers le Nord-Ouest, ce qui n’arrange rien à notre état d’esprit. Il fait gris et la lumière est terne. Après avoir trouvé un endroit pour camper, nous passons l’après-midi à bouquiner et à se protéger de la bruine qui tombe finement.
Pour couronner le tout, voilà que vers 18 heures, une femme vient nous dire que l’on n’a pas le droit de camper là et qu’il y a un site prévu pour cela un kilomètre en amont de la rivière. Dans une vision d’horreur, j’imagine des tables en plastique et des petits numéros pour nous dire où planter notre tente et je hais profondément cette femme, même si plus tard je reconnaîtrai qu’elle a raison.
Nous nous déplaçons donc et le site en question n’est de loin pas si mal, il n’y a rien de plus qu’un foyer déjà un peu arrangé et tout compte fait nous seront même beaucoup mieux installés que là où nous avions voulu élire domicile quelques heures plus tôt.
A la tombée de la nuit, la même femme nous apporte un peu d’essence pour que nous puissions allumer un feu malgré la pluie et de la haine je passe à la reconnaissance profonde. C’est elle qui réhabilite en premier ma foi en l’hospitalité offerte aux voyageurs. Merci beaucoup Madame.
Nous soupons et allons rapidement nous coucher car la nuit est froide, qu’il pleut et que notre feu est éteint.
Au matin, malgré le froid et la pluie qui persiste, nous décidons de remonter la vallée qui s’enfonce derrière nous. Petite balade facile et agréable qui a le mérite de faire revenir le soleil et de nous mettre de très bonne humeur. En chemin, nous rencontrons Alexandre, un chasseur de Kuraï, blond aux yeux bleus, ce qui est plutôt rare dans ces contrées où le faciès asiatique est bien plus commun, et d’une beauté virile que mon cœur de femme a de la peine à supporter!
Il nous dépasse pour l’instant, mais s’arrêtera pour boire un café en fin de journée près de notre campement.
Plus nous montons, plus je me sens légère et forte. Arrivés presque au col, Manu s’arrête le long de la rivière, mais je continue en gambadant, pleine d’une énergie insoupçonnée.
Je découvre ensuite une cabane digne d’être l’ermitage d’un lama bouddhiste, une couche de branche de pin et une petite table ont été bricolées avec soin dans ce paysage mythique à la limite des arbres (bien que nous soyons sans doute déjà à plus de 2300 m.)
Je redescends trouver Manu et nous entamons le retour.
Comme les deux cents roubles perdu à Kosh-Agash constituait le tiers de notre avoir en monnaie russe et qu’il nous faut garder de l’argent pour le billet de bus du retour, il ne nous reste pas grand chose pour s’acheter des vivres et de plus nous n’avons pas la moindre envie de retourner à Kuraï pour le moment. Ce qui fait que nous décidons de tester un petit peu notre résistance à la faim (ou pour être plus honnête, résistance à notre gourmandise, car notre quantité de riz est amplement suffisante pour survivre)!
Tout cela pour dire que nous ponctuons la descente de longues pauses pour ne pas être confrontés trop vite à notre manque de nourriture, pauses pendant lesquelles nous décrivons, la salive en bouche, des plats aussi riches que goûteux en regardant la cime des pins qui nous entourent.
Vers 18 heures, nous sommes de retour au camp et peu de temps après arrive Alexandre, qui n’a rien attrapé. Nous discutons, ou plutôt Manu discute car mon russe n’a toujours pas fait de progrès en tout cas en ce qui concerne la parole, mais soit dit en passant la compréhension de Manu n’est pas sans faille non plus car ce qu’il me traduit comme étant le naufrage d’un paquebot finlandais dans la mer Baltique, va s’avérer être le naufrage du Koursk (un sous-marin russe). Nous parlons également de la guerre en Tchétchénie, de la température en hiver (jusqu’à - 50 °C), de la vie dans cette vallée perdue.
« L’été je chasse un peu pour nourrir ma mère et mon père, quand je ne chasse pas je pêche et en hiver quand il fait trop froid, je reste à l’intérieur et je regarde la télé. Il n’y a pas de travail par ici, nous déclare-t-il simplement. La vie est dure, c’est vrai, mais pour moi qui aime être dehors, qui aime chasser et marcher, cela n’a rien d’un calvaire. »
Plus tard, il nous dira que sur le plateau que l’on peut deviner à quelques cinq cents mètres plus hauts de l’autre côté de la rivière, il y a des loups blanc et des lacs. Erreur de traduction ou pas cette image à le mérite de me faire frémir de bonheur encore maintenant.En partant, il nous recommande de faire attention car il prévoit de la neige pour la nuit à venir.
Nous mangeons stoïquement notre plat de riz saupoudré de thym quand deux enfants viennent discuter avec nous, ils habitent la maison de la femme que nous avons rencontré hier et ils profitent de leur derniers jours de vacances avant de devoir retourner à l’école. Ils sont persuadés que nous sommes frères et sœurs et cela nous amuse de ne pas être considéré comme un couple pour une fois. Puis aussi subitement qu’ils étaient apparus, ils repartent vers le bas de la vallée.
Nous nous réchauffons encore un peu près du feu car la nuit va en effet être très froide. A peine enfouis dans nos sacs de couchage que la pluie commence à tomber et je me bénis une fois de plus d’avoir pensé à prendre de grands sacs poubelle pour protéger le fonds de nos sacs de couchage ainsi que nous affaires précieuses comme nos cahiers ou nos appareils photos. Je ne compte plus les nuits pendant lesquelles le fond de la tente s’est transformé en un joyeux marécage!
Pendant toute la nuit, nous nous enfonçons au plus profond des nos plumes et nous nous réveillons si ne fusse qu’un doigt à le malheur de vouloir respirer! Ni mes trois pulls empilés les uns sur les autres, ni mes chaussettes en laine, ni mon jeans ne réussissent à me réchauffer et je ne suis pas surprise de voir de la neige à quelques centaines de mètres au-dessus de nous le lendemain matin.
Mais quelle fierté naïve nous envahi quand nous réalisons que nous sommes entrain de camper en Asie centrale et que nous avons « survécu » à notre première nuit aux environ de 0 degré!
La journée s’annonce belle et ce sera parfait pour faire une lessive dans la rivière et faire un brin de toilette. Ce n’est jamais facile de se laver les cheveux dans de l’eau à 6 degrés mais à coup de grands airs d’opéra entonnés à tue-tête, j’arrive même à mettre complètement la tête sous l’eau.
Nous passons la journée à lézarder au soleil, à lire, à écrire et je crois que nous avons bien besoin d’un jour de repos complet. Je me ballade un tout petit peu pour essayer de retrouver du thym pour agrémenter notre souper (qui ne consiste que de riz) à venir mais je ne trouve rien. Cela m’étonne d’ailleurs car la veille je n’avais eu qu’à me baisser pour en ramasser.
En fin d’après-midi, alors que nous sommes allongés sous un arbre, je pars dans un immense fou rire en examinant plus consciencieusement l’arbre sous lequel nous sommes.
« Manu, je crois comprendre pourquoi je n’ai pas trouvé de thym tout à l’heure, et je doute même être capable d’en trouver si je cherchais pendait des heures. Regarde bien les épines du mélèze sous lequel nous sommes, elle ne te rappelle pas étrangement notre assaisonnement de hier soir? » et c’est au tour de Manu de partir d’un grand éclat de rire quelque peu moqueur : « Et c’est toi, grande fille de biologistes qui m’a fait avalé du mélèze. Il faut croire que nous sommes des gourmands irrécupérables si nous sommes capable de nous leurrer à ce point pour satisfaire nous papilles ».
Pour en avoir le coeur net, je retourne vers l’endroit où j’avais trouvé notre « thym » de la veille et je découvre de très jeunes mélèzes mélangés à une plante que je ne connais pas, mais dont l’odeur est réellement très proche de celle du thym!
Dans un cafe a Ongudai
Dans un café blanc et bleu, couleurs que je croyais réservées aux pays chauds et en particulier au Portugal, dans un café bleu et blanc, nous nous arrêtons quelques heures le temps de boire quelques chose de chaud avant de prendre le bus pour Gorno-Altaïsk. On essaie encore en vain de changer les quelques dollars qui nous permettraient de rester dans ce village que l’on aime tant, mais on se rend vite compte que c’est impossible et il est donc nécessaire de garder le peu qui nous reste pour payer le bus.
Je me sens spécialement bien, le matin nous a encore offert une rencontre avec Wassili, notre chauffeur à la descente de Tchémal, et cette coïncidence ne me surprend même pas tant j’ai confiance en la magie du voyage.
Je sors marcher un peu et il commence à pleuvoir, je suis la seule à courir, les gens s’abritent et attendent que cela passe, comme quoi l’apprentissage de la lenteur est plus dur que je ne l’imagine.
A notre premier passage, Ongoudaï incarnait l’Asie, cette Asie si convoitée; aujourd’hui cette Asie mouillée aux cafés bleus et blancs, cette Asie où même les statues de Lénine sont petites, ridicules et presque humbles si l’on a un tant soit peu d’imagination, cette Asie m’offre largement son lot d’instants précieux.
La perspective de devoir quitter Ongoudaï dans quelques heures n’est pas des plus réjouissantes, comment sera notre humeur « dagoroda » ? Comment profiter encore un peu plus de ces pains de viande et de ces latrines rudimentaires. Le concept de la douche a disparu depuis longtemps, mais le besoin s’est également volatilisé. Encore, encore se remplir, se rassasier, se goinfrer de ce qui m’entoure. Même la musique du café nous offre ce qu’elle a de meilleur. Quelle émotion sincère et vraie me fait frissonner de bonheur. N’y a-t-il que le voyage pour me doter de cette sensibilité?
Barbarie occidentale, tu peux même être belle quand tu es ridiculisée. N’est-ce pas Beethoven, si seulement tu pouvais entendre ce que l’on fait de ta sonate au clair de lune!
Mon langage se perd en un ésotérisme obscur alors que ma peau se tanne et que mes mains se rident d’une réalité pragmatique mais splendide. Que j’aime mes mains sales et poisseuses dans ces conditions...
J’ai rarement été pétrifiée comme je viens de l’être à l’instant. Musique superbe, accompagnée du cliquetis du stylo de Manu. A un mètre derrière nous, un couple d’amants célébrant je ne sais quoi à l’aide de verres de vodka pleins à ras bord. Emotion pure, parfaite, les clopes russes posées sur un dictionnaire, une tasse usée.... En quelques secondes la musique est finie, le couple s’en va et Manu sort fumer. Poésie et néant ensemble, vision fugace et d’autant plus précieuse. Je peux à nouveau bouger mes jambes.
Gorno-Altaisk
Nous attendions le bus depuis déjà quelques heures quand il arrive finalement bondé d’étudiants qui retourne en ville pour la rentrée universitaire. Je ne sais par quel miracle nous faisons partie des heureux élus qui ont le privilège de venir s’entasser de cette boîte à sardines mais le fait est que nous nous retrouvons parmi cette bande de joyeux drilles et que nous devenons bien vite un centre d’attraction notoire.
En effet il ne faut pas plus de dix minutes pour qu’un charmant altaïs à moitié édenté, ne se mette à me faire une cours digne d’un banlieusard parisien. Ne parlant toujours pas un mot de russe, je laisse à Manu le soin de lui traduire que je serais enchantée s’il était d’accord de me chanter quelques chose en kirghize. Ma mine signifie clairement que je ne suis pas sérieuse, mais lui se prend au jeu et commence à chanter en kirghize, puis en kazakh, il n’est de loin pas impossible qu’il bluff complètement en chantant une suite d’onomatopée que je ne pourrais de toute façon pas différencier de ces deux langues, maie le fait est qu’il chante et que tout le bus rit franchement. Puis c’est à mon tour de chanter, « O mio babbino caro » me semble faire parfaitement l’affaire et malgré leur surprise d’entendre un air d’opéra italien, les étudiants ne semblent pas complètement fermés à mon massacre de Puccini.
Tout le monde rigole encore pendant quelques temps, puis la fatigue s’installe, il nous reste encore quelques heures de route, mais le silence nous accompagnera jusqu’à Gorno-Altaïsk.
Au sortir du bus, nous nous disons au revoir comme si nous nous connaissions depuis toujours et surtout comme si nous allions nous revoir le lendemain.
Encore euphorique, nous nous dirigeons vers l’hôtel.
Il est énorme, sinistre et fait face à une statue de Lénine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire